dimanche 24 juillet 2011

JUSTE, LE DERNIER POUR LA ROUTE


Pour pas mal d'entre-nous, l'heure est venue de faire un break annuel bien mérité. Les vacances, ce sont aussi pour vous et pour moi ces repas entre amis, à la fraîche, rien de plus agréable de lever son verre à l'ombre d'une journée torride, sous les arbres, à glisser des regards complices et rieurs à ses amis, ceux de fraîche date, ceux de toujours.

Les professionnels du vin  comme moi - en tant que journaliste spécialisé j'en suis un - on nous imagine toujours entre deux repas idéaux comme ça, je n'arrange pas mon cas parce qu'en plus de tout ça je voyage partout dans le monde où il y a des vignerons qui ont quelque chose à dire. Cette année, après le vignoble de Saint-Joseph, de Nouvelle-Zélande, de Savennières, de Saumur, de la Côte de Nuits, de Beaune, d'Alsace, d'Allemagne, de Rivesaltes, de Savoie, je reviens de Sicile, avant les Dentelles de Montmirail puis Cornas, un retour en Nouvelle-Zélande, une tournée en Asie, Madiran, Irouleguy, Pauillac, les Costières de Nîmes, la Montagne de Reims, le Japon, le Nantais, les coteaux d'Aix, les Baux puis enfin, en juillet 2012, Chablis et ses grands vins de pierre.

"Vous faites un dur métier Thomas Bravo-Maza !". Pas une seule semaine sans qu'on me fasse comprendre avec ce petit rictus si particulier qu'on pourrait payer pour vivre comme je vis. Je marche dans les vignes comme un minuscule personnage de Jonathan Swift, un lilliputien parcourant monts et vallées, sur le corps sans fin d'une femme nue. Et j'aime ça.

Comme tout journaliste qui (se) respecte, j'aime encore plus les paradoxes, les a-coups, les points de rupture, les volte-face, la contradiction.

Le vin m'intéresse aussi parce qu'il EST contradiction. C'est un fil tendu duquel on peut tomber. Dans le vin, il n'y a rien d'innocent. Du vin sans alcool? Le premier qui me parle de ça, je lui casse la gueule. Je vous ai parlé de mon goût pour le paradoxe, ce qui n'a rien à voir avec le non-sens. Il y a 7000 ans, l'homme a fondé sa civilisation en faisant fermenter des bricoles, ici où là, du lait, des céréales, et du raisin. La noblesse du vin, il ne faut jamais oublier que ça vient de là.

Mais que c'est aussi de l'alcool.

Dans alcoolisme, il y a isme. Mais il y a surtout alcool. Sorti en septembre 2009, Le dernier pour la route avait suscité d'ire de pas mal de mes collègues. "C'est le vin qu'on assassine!" avais-je entendu. C'est vrai, on imagine que le monde des grands vins de terroir, de ses commentateurs, de leurs arguties, est à mille lieues des excès d'alcool. C'est vrai, lorsque Le dernier pour la route est sorti en 2009, je ne suis pas allé le voir en salles ni voulu assister aux projections de presse. C'est vrai, j'ai été agacé moi-même lorsque, à plusieurs reprises au début du film j'ai vu François Cluzet (inoubliable ici comme dans beaucoup des films de son impeccable carrière) s'envoyer cul sec (voilà un titre bien meilleur titre pour le film) plusieurs verres de vin blanc, en pleine angoisse nocturne, devant la porte ouverte de son frigo. Agacé je le fus car le vin que je connais, on ne le boit boit pas cul sec en tremblant, justement. Boire le vin sans y prêter attention, sans en parler, sans ressentir son message, rien de plus triste.

Mais en 2009, lorsqu'est sorti Le dernier pour la route, je n'ai pas hurlé avec les loups. Car les messages de modération, sur la route, comme devant un verre, ne sont pas tout à fait inutiles. Les loups ont hurlé à la mort de la loi Evin. Bien sûr que ses attendus sont bruts de décoffrage, qu'ils demanderaient à être affinés, que la loi 91-32 du 10 janvier 1991 comporte des lacunes et date un peu. Mais en tant que citoyen, je suis fier qu'une telle loi existe. C'est même de bonne grâce, figurez-vous, et avec tout le sérieux nécessaire que 'ai accédé à la demande du Conseil supérieur de l'audiovisuel lorsque j'ai fait ajouter, en salle de montage, les deux messages officiels de modération à mon film. Je remarque du reste que le CSA a eu l'intelligence de ne pas caviarder ou flouter certaines de ses séquences et a su en comprendre la portée véritable. Sans manichéisme. Une première, j'en suis heureux, qui devrait maintenant ouvrir la voie à d'autres réalisateurs.

Juste. N'en déplaise à certains, Le dernier pour la route sonne assez juste, somme toute. Pas de pathos, pas de complaisance ni moralisme attendu, mais au contraire, beaucoup de délicatesse (un peu trop lisse parfois à mon goût - la douleur physique épouvantable de la désintoxication n'y est, par exemple, pas du tout abordée et c'est franchement dommage; la "happy" end ne rend pas du tout compte d'un fait sociologique patent : 80% des alcooliques chroniques ne s'en sortent jamais) dans un film fluide qui n'a rien d'un opus promotionnel du Ministère de la Santé. Un film incarné, que les amoureux du vin doivent voir, rien de plus évident.

Pour le commander, c'est ici