mercredi 1 juin 2011

LES MAINS DERRIERE LE DOS

28 mai 2011. Le Monde Magazine. Page 63. Deux colonnes signées Michel Bettane + une photo du professeur, pas très content, les mains derrière le dos. Posture parfaite, 100% raccord avec le propos des deux colonnes sus mentionnées. On en tremble d'avance, c'est sûr, ça va barder.




Mais qu'y apprend-on au juste? Que les dégustations en primeurs sont d'"un exercice délicat" pendant lesquelles l'on croise néanmoins "journalistes-dégustateurs plus ou moins expérimentés, experts souvent plus auto-proclamés que formés à l'exercice et, par la force des choses, un peu complices de l'événement". Trop c'est trop, la coupe est pleine, "la règle du jeu doit changer". 
A la dernière ligne de la deuxième colonne, en finissant le papier de Michel Bettane, à l'heure où il est est de bon ton désormais de dénoncer le système des primeurs et la folie des augmentations de prix, je l'avoue, j'ai eu en bouche comme un petit goût de juillet 1944. 


On le comprend, bien évidemment, Michel Bettane. Pour un journaliste, s'opposer au système commercial mis en place par les propriétaires bordelais n'est pas si simple. Délicat de choisir entre bienséance et vitupération. Le geste demande un certain courage. Chaque année, à la fin de l'hiver, je reçois au bureau de superbes cartons d'invitations sur papier glacé, mon nom de journaliste du vin y est écrit à l'anglaise, comment refuser ? Il faut bien du courage à ma main "stupide", qui les laisse tomber, un à un, et invariablement, dans la poubelle. C'est bien simple, au moment où Michel Bettane publie "qu'il serait stupide de ne pas participer à ces dégustations", je fais mes comptes : en dix ans, pas une participation officielle, pour y avoir vu ce que j'ai vu, lors de ces primeurs, impossible de publier quoi que ce soit ! Mettons les points sur les i : je ne suis pas seul dans ce cas, d'autres que moi (peu nombreux il est vrai) mais bien plus brillants que moi, longtemps avant moi, ont refusé de participer à la mascarade, au cirque lamentable des primeurs de Bordeaux. Seulement voilà, cela fait des années que nous nous sentons seuls, très seuls. Oh!, comme le dit si bien Michel Bettane, "difficile de refuser de noter" (les vins, Ndlr). Pour certains, si Bettane ne hausse le ton que maintenant alors que tant d'organisateurs de primeurs se paient la tête des journalistes du vin depuis autant d'années, c'est surtout parce qu'il s'est senti terriblement vexé d'apprendre que certains confrères, notamment anglo-saxons, avaient été conviés à déguster les vins avant l'ouverture officielle des primeurs. Courroucé ou pas courroucé ? A quand les pré-pré-pré-primeurs-avant-vendanges ? Qu'on ne compte pas sur moi pour donner mon avis là-dessus. Mais une chose est sûre, dans ce papier du Monde Magazine, j'aurais personnellement aimé de la part de Michel Bettane davantage de modestie et avant toute chose, d'autocritique. Ca aurait eu un certain panache.


"C'est une belle harmonie quand le dire et le faire vont ensemble", sous la plume du grand philosophe de Bordeaux, depuis quatre siècles, le propos a de la gueule. 


Si donc nous estimons à bon droit que tous les journalistes et commentateurs du vin doivent être placés sur un pied de stricte égalité durant ces primeurs et que rien n'est fait concrètement pour mettre un terme aux privilèges de quelques-uns sur lesquels misent en priorité certains bordelais, n'y participons pas, un point c'est tout.


Si donc nous estimons à juste titre que la représentativité des échantillons présentés lors des primeurs ne nous permet plus à nous, critiques du vin de faire honnêtement notre travail, mais qu'au contraire, bien qu'il en coûte à notre ego, nous nous rendons à l'évidence que nous y sommes trop fréquemment depuis des lustres instrumentalisés et manipulés, eh bien n'y participons pas, un point c'est tout.


Si donc il est bon - et c'est bien évidemment la moindre des choses - que de telles dégustations en primeurs doivent être décalées d'au-moins six mois, jusqu'en novembre-décembre - au printemps précédent, au moment des primeurs, les vins sont quasi-injugeables, tout cela n'est pas sérieux -, tant que les organisateurs de ces dégustations n'auront pas agi en ce cens, n'y participons pas, un point c'est tout.


Lors des primeurs de Bordeaux, les sommes en jeu sont énormes, la valeur des placements financiers, considérable. Se contenter de pousser des cris d'orfraie ne sert pas à grand chose car la "Place", comme on dit, n'engagera aucune réforme aussi facilement. Après tout, pour ceux qui aiment tant faire de l'argent avec du vin de Bordeaux, la terre n'a jamais aussi bien tourné, alors pourquoi changer?


J'aurais aimé que Michel Bettane et quelques autres confrères qui comptent aillent bien au-delà des propos d'humeur, montrent davantage de force au grand jour - et non seulement en privé - et au final usent concrètement de leur devoir d'ultimatum. Notre métier de journaliste est d'informer, un point c'est tout.