mercredi 12 mai 2010

Chute, fracas et silence, lisez DITS DU GISANT




Des histoires d'hommes qui montent, qui penchent et qui marchent, on en lit souvent. Les récits d'hommes qui tombent sont bien plus rares. Et pourtant, tout est là, dans la chute. Dans l'aiguille des Pèlerins, au-dessus de Chamonix, où Jacques Perrin se trouve ce 9 février là, dans une voie d'escalade au nom prédestiné, One Step beyond ("un pas au-delà")...

Jacques Perrin a les mots pour le dire : "quand on tombe, on ne cesse jamais de tomber"...

Pulverisé, il le sera des mois durant, le corps en lambeaux, de chambres d'hôpital en salles d'opérations. Avec quels mots raconter la pesanteur, la douleur et la grâce retrouvée? Ceux de Jacques Perrin sont des incises sur incises gagnées, à l'arraché, sur le noir sans lumière. Et c'est cela qui nous bouleverse tant, au fond, dans Dits du gisant. Cette façon de raconter la volonté sans certitude, sans la grandiloquence attendue, un peu comme l'aurait fait un Erri De Luca, à qui je n'ai pas cessé de penser durant le livre de Jacques Perrin.

La montagne n'a pas voulu de lui. Mais elle mettra un temps infini à le décider.

Puis le visage se refait, les mots reviennent. Le rétablissement  est là. Le visage sort de l'ombre.

Mais le mot sans ombre est pareil au vin sans ombre. Immense buveur de vin, Jacques Perrin sait depuis longtemps ressentir tout le jeu entre la réalité qui s'empare de nous et ce que nous en percevons. Il sait mettre à distance ce corps qui durant ces mois habite la douleur et l'ombre. Qu'on ne s'y trompe pas, Dits du gisant n'est pas un récit sur la mort, ni sur la vie, du reste, mais sur la fragilité. L'un des mots sublimes de la langue française.

Je m'amuse à penser à la première forme de verticalité du livre, celle de la montagne, du dessus, qui se transformera durant le récit en une autre verticalité, celle du dessous, du goût de la terre, et apportera sa part d'apaisement par le message du vin dans ce corps meurtri.

Comme le dit si bien Jacques, on ne boit pas, on "boit à ". A l'apaisement, donc.

Merci pour ce grand livre, cher Jacques Perrin. Tu liras plus bas en forme de dédicace, un morceau de Fureur et mystère...

J'habite une douleur (poème pulvérisé)

Ne laisse pas le soin de gouverner ton coeur à ces tendresses parentes de l'automne auquel elles empruntent sa placide allure et son affable agonie. L'oeil est précoce à se plisser. La souffrance connaît peu de mots. Préfère te coucher sans fardeau: tu rêveras du lendemain et ton lit te sera léger. Tu rêveras que ta maison n'a plus de vitres. Tu es impatient de t'unir au vent, au vent qui parcourt une année en une nuit. D'autres chanteront l'incorporation mélodieuse, les chairs qui ne personnifient plus que la sorcellerie du sablier. Tu condamneras la gratitude qui se répète. Plus tard, on t'identifiera à quelque géant désagrégé, seigneur de l'impossible.
Pourtant.
Tu n'as fait qu'augmenter le poids de ta nuit. Tu es retourné à la pêche aux murailles, à la canicule sans été. Tu es furieux contre ton amour au centre d'une entente qui s'affole. Songe à la maison parfaite que tu ne verras jamais monter. A quand la récolte de l'abîme? Mais tu as crevé les yeux du lion. Tu crois voir passer la beauté au-dessus des lavandes noires...
Qu'est-ce qui t'a hissé, une fois encore, un peu plus haut, sans te convaincre?
Il n'y a pas de siège pur.

René Char 

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Le blog de Jacques Perrin : http://blog.cavesa.ch/