mardi 22 décembre 2009

Comment j'ai deshabillé une Laville Haut Brion 1948 (SUITE) : LE COMMENTAIRE DE FRANCOIS AUDOUZE

J'ai récemment évoqué le déshabillage en règle d'une bouteille de légende, voici trois commentaires que vient de me faire parvenir François Audouze, le grand spécialiste des vins anciens...

"Pour t'amuser et tu peux les mettre sur ton blog, voici trois commentaires
de Laville 1948 :

1 - Sur des toasts au foie gras et du jambon pata negra, nous commençons par
Château Laville Haut-Brion 1948. La bouteille n’avait pas d’étiquette. La
capsule porte nettement le nom du château, et le bouchon est très lisible.
Seule l’année est difficile à lire. Le 1 et le 9 sont clairs. Le troisième
chiffre est plutôt un 4, et le quatrième est soit trois soit huit. J’opte
pour 1948, car j’en ai. Le niveau est très haut dans la bouteille, proche du
goulot, la couleur est d’un jaune d’or, avec encore le vert de la jeunesse.
Le nez est précis, charmant, très pâte de fruit d’agrumes. En bouche, le vin
est d’une précision rare. L’acidité est forte. Les agrumes sont nombreux. Ce
qui fascine, c’est la complexité associée à une énorme précision.
Nous passons à table, car le vin a été prévu pour le premier plat. C’est une
pomme de terre à la crème de truffe et aux abondantes tranches d’une belle
truffe. Le plat évoque les produits de la terre et le Laville lui donne un
caractère aérien. Il me semble que je suis en train de tenir en bouche
l’accord de l’année. Car tout est d’une subtilité invraisemblable. C’est la
pomme de terre dans sa pureté qui conduit le Laville à étaler la structure
de ses agrumes. Nous nageons dans le bonheur d’un raffinement ultime. La
longueur du Laville 1948 est inextinguible.

2 - Je suis toujours servi par le sommelier des premières gouttes d’une
bouteille, pour vérifier le vin. Comme j’ouvre les vins et laisse la
bouteille verticale, la part du vin qui a été le plus longtemps proche du
bouchon m’est servie en premier. C’est la plus ingrate. Aussi quand
j’annonce à tous que le Château Laville Haut-Brion 1948 est fatigué, tout le
monde me demande ce qui justifie cet avertissement. Et je verrai que les
votes vont me donner tort. Mais ce n’est quand même pas le beau Laville que
j’adore. Couleur dorée, saveur de Graves, c’est un vin à la palette
aromatique plus large que le Pinot Gris Réserve spéciale, Schlumberger 1953
qui est servi en même temps. Vin beaucoup plus joyeux et arrondi que le
Laville, j’ai tendance à le préférer, contrairement à l’avis de la table.
J’aime sans doute que ce vin simple s’exprime avec bonheur ce soir, car cela
fait partie des achats de hasard qui foisonnent dans ma cave, cette
bouteille étant unique et sans possibilité d’un nouvel essai, sauf
improbable découverte dans un recoin caché. L’épeautre est délicieux et
confirme comme pour le premier plat qu’un goût simple, homogène et lisible
est indispensable pour l’harmonie avec les vins anciens.

3 - Le Château Laville Haut-Brion 1948 d’une couleur d’un or joyeux marque
une grande continuité gustative avec le champagne (Champagne Pommery 1961)
comme le remarque la seule et ravissante jeune femme de notre table. Ce vin
exprime les saveurs du vin blanc de Bordeaux avec des qualités qu’aucun vin
actuel ne pourrait imaginer. La profondeur du vin et la précision de sa
trame sont extrêmes. On hésite entre la finesse du champagne et la précision
du Laville. L’avantage me semble aller vers le bordelais. La fondue de
poireau est assez osée, et l’accord se crée grâce à la truffe de Bourgogne.
Si le bouchon du Laville était d’origine, celui du Château Carbonnieux blanc
1936 provient d’un reconditionnement en 2000. La couleur est d’un or
beaucoup plus orangé que celui du Laville et il est probable qu’à l’aveugle,
les senteurs d’agrumes pousseraient les amateurs à dire qu’il s’agit d’un
liquoreux devenu sec. En bouche, sa puissance est spectaculaire. Ce vin
équilibré est tonitruant. Un peu moins complexe et subtil que le Laville il
a énormément de charme et l’accord avec les agrumes du suprême de faisane
est d’un rare raffinement. C’est peut-être l’accord que j’ai préféré pour
son originalité, car le vin exprime le même goût d’écorce d’orange que la
sauce".

François Audouze
tél : +336.07.81.48.25 - fax +331.48.45.17.50 - site : www.wine-dinners.com
- blog : www.academiedesvinsanciens.org

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