lundi 26 octobre 2009

Il ne faut pas le pleurer, il faut le lire pour le garder toujours vivant

Adieu à Jacques Chessex

Par Jérôme Garcin
Souvenez-vous de sa voix. Elle était chaude, douce, onctueuse - une voix de velours. Souvenez-vous de ses gestes, ils étaient amples, lents, apaisés, apaisants.


Souvenez-vous de sa prose, l'une des plus belles qu'il nous ait été donné de lire, elle était comme coulée dans le marbre que le temps n'atteint pas. Souvenez-vous de son autorité calme et de sa grandeur d'âme. Les excès, les polémiques, les provocations, les incartades, les rebuffades - il en faut, Dieu merci, dans une vie d'homme qui croit à ses idées - ne disent rien du vrai Jacques Chessex dont la seule raison d'être a été la littérature, et dont la seule raison d'écrire a été d'apprendre à mourir.
Des vers de jeunesse du «Jour proche» à son ultime récit, sur le crâne de Sade, le crâne !, des premiers effrois à la sérénité conquise, de romans en nouvelles, de poèmes en essais, de portraits en souvenirs, l'œuvre immense de ce travailleur acharné ne dit que cela : le monde des vivants jouxte le séjour des morts, comme sa maison de Ropraz jouxtait le cimetière adossé au bois du Paradis, et l'on ne se prépare jamais trop tôt à franchir un jour la porte.
Qu'il rende gloire à son maître Flaubert, qu'il célèbre ses paysages vaudois auquel il fut plus attaché qu'un chêne, qu'il décrive la détresse de son père suicidé, qu'il réclame justice pour un juif assassiné, qu'il confesse son «Désir de Dieu», qu'il chante l'amour de la femme ou le passage des oiseaux, des «glisse-en-l'air», Chessex n'a jamais cessé d'interroger ce grand mystère : qu'y a-t-il derrière, qu'y a-t-il après, qu'y a- t-il au-delà, qu'y a-t-il qu'on ne sait pas ? Aujourd'hui, Jacques a enfin la réponse. Il en aurait fait un très grand livre, que nous ne lirons jamais.
J'aimais et admirais Jacques depuis quelque trente-cinq ans et le mot qui me vient à l'esprit au moment de lui dire adieu est : fidélité. A Sandrine, à ses fils François et Jean, à Grasset, à son pays, à ses territoires, à ses renardes, à la langue française, à sa vocation, à ses obsessions, à ses convictions. Et comme je ne crois pas au hasard, je veux rappeler qu'il est mort debout, et au milieu des livres. Désormais, il ne faut pas le pleurer, il faut le lire pour le garder toujours vivant.
J. G.
Texte prononcé dans la cathédrale de Lausanne,
le 14 octobre, pour les obsèques de Jacques Chessex