jeudi 10 septembre 2009

JUS DE MOTS

 
Célébration bachique

par François Busnel

Que reste-t-il du siècle de la Pléiade? Ronsard et Du Bellay. Mais si Ronsard et Du Bellay ont existé, c'est que la poésie était un genre vivant. Que des dizaines de poèmes avaient été écrits et avaient trouvé un public. Ronsard, Du Bellay, mais aussi Baïf, Jodelle, Dorat, Pontus de Tyard, Belleau. Et, non loin d'eux mais solitaire, tant il est vrai que l'on n'enrôle pas un libre penseur, Marc-Antoine Muret. Gérard Oberlé, l'un de nos plus joyeux érudits, ressuscite ce Muret que la postérité, décidément mauvaise fille, a exilé dans un recoin poussiéreux de son vaste hangar.
Marc-Antoine Muret fut excessif en tout. Insouciant, voluptueux, railleur, profane, inconstant, espiègle, rebelle, prompt à tous les débordements, le folâtre et scandaleux poète (qui fut le maître de Montaigne) ne dut son salut qu'à la fuite. C'est qu'on ne badinait guère avec la sodomie en cette époque où, par ailleurs, rois et reines conjuguaient l'inceste et le meurtre en faisant preuve d'une maîtrise qui, cinq cents ans plus tard, n'a toujours pas d'équivalent.
Chassé de Paris, chassé de Toulouse, chassé de France, Marc-Antoine Muret trouva refuge en Italie. Il endossa la robe de bure et devint même "l'orateur des papes". Mais "renard a beau changer de fourrure, ses moeurs restent celles du goupil"... Arrivé au terme du banquet, il raconte. Ne cèle rien, pas même ses lâchetés. "Le divin Muret", comme le surnommait Ronsard, connut la misère et la fortune, la gloire et l'oubli, les geôles du Châtelet et les palais de Venise, les honneurs et leurs servitudes... C'est le récit de cette vie déboutonnée que livre Gérard Oberlé dans ce roman truculent, à l'écriture souple et vive, magnifiquement saupoudrée de ces formules chamarrées qui procurent au lecteur le bonheur simple d'une émotion vraie. Oberlé, pudique, se cache derrière Muret pour faire l'éloge du vin, de l'amitié et des livres. Comme Muret, il pratique l'irrévérence joyeuse. Comme lui, il est le servant du culte des arts et de la beauté. Comme lui, il nous rappelle que grâce aux mots la joie de vivre est communicative. Gérard Oberlé fait ainsi oeuvre de salubrité publique en même temps qu'il signe son meilleur livre. Loués soient les poètes! 
L'express du 10 septembre 2009
Gérard Oberlé se remet doucement d'un gros pépin de santé survenu au début de l'été. Je lève mon verre de Clos Rougeard au grand homme et à son prompt retour parmi nous.